vendredi 8 août 2014

Winter Sleep - Nuri Bilge Ceylan



Écrit et réalisé par Nuri Bilge Ceylan
Palme d'or - Festival de Cannes 2014
Avec : Haluk Bilginer, Melisa Sözen...
3h16
Sortie : 6 août 2014

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Scènes de la vie hivernale


2014. Les cent ans du cinéma turc. La palme d’or cannoise revient à Nuri Bilge Ceylan, déjà maintes fois récompensé par de grands prix dans ce même grand festival. Ne nous voilons pas la face : Winter Sleep était cette année là le grand film fleuve favori en compétition. Cela devrait-il pour autant nous inciter à bouder devant cette œuvre volontairement grandiose et magnifiante, ennuyeuse à mourir pour certains et fascinante à bien des égards pour d’autres ?

Adapté de plusieurs nouvelles d’Anton Tchekhov, Winter Sleep prend pour point de départ une altercation des plus anodines dans les plaines anatoliennes : un enfant, à l’aide d’un simple caillou, brise la vitre de la voiture d’un riche maître d’hôtel. Cette agression entraine par la suite un affrontement bien prévisible des classes sociales (vieux riches et jeunes pauvres, dans une ambiance n’étant pas sans rappeler les temps Moyen Âgeux), mais aussi celui du couple d’Aydin et Nihal, en bonne posture pour se retrouver face à leurs démons intérieurs, révélés au grand jour. Ceylan met en scène plusieurs scénettes bavardes mais lourdes de sens, évitant habilement tout manichéisme dans ses propos par des diaolgues réflexifs et d’une philosophie sans complexe, à l’encontre de tout didactisme pompeux. La lenteur de l’action se corrobore au passage du temps à travers les saisons. Comme dans Les Climats (2006), le cinéaste met en relation l’humeur de ses personnages avec l’atmosphère extérieure environnante. La communion avec la nature anatolienne est représentée ici de façon la plus naturelle qui soit, à travers les vitres de l’hôtel, les yeux d’Aydin, les chevaux peinant à franchir des cours d’eau. Film paisible mais non silencieux, cette dernière caractéristique pointe clairement la démarcation du reste de la filmographie de Ceylan. Faisant plusieurs fois échos à Scènes de la vie conjugales d’Ingmar Bergman (1973), le cinéaste turc filme ses dialogues par de puissants cadrages recentrant l’humain dans son monde intérieur, lui apparaissant finalement hostile et peu accueillant.

Aydin (Haluk Bilginer)

Cette longue dispute d’une trentaine de minutes entre Aydin et Nihal - dans un clair obscur évoquant les plus grandes peintures du courant - traduit à elle seule la maîtrise totale du cinéaste sur sa grande histoire intimiste à raconter. Chaque scène de tirades du couple ne paraît tenir que sur un équilibre prêt à flancher, à déchirer les âmes errantes de ses personnages. Sans cette mise en scène proche de la perfection pure, nous tomberions immédiatement dans du théâtre filmé sans grand intérêt. La culpabilité refoulée, le matchisme, la compassion pour autrui honnête mais incomprise sont autant de thèmes passés dans le scénario de Ceylan les traitant subtilement en profondeur. L’ambition de chef d’œuvre qu’est le film en démontre discrètement sa faiblesse. Par le rallongement de ces intenses moments, il n’est pas exclut que son public perde le fil d’Ariane pourtant bien facile à suivre dans ses origines, créant un solide lien entre nous et les personnages, dans une empathie parfois peu évidente mais minutieusement mise en place.

Difficile donc de trouver des défauts à cette magnifique fresque, sans oublier que le cinéaste a toujours fait figure de bon élève intouchable. Mais l’art n’est pas sans prétention, et il est préférable de voir ce Winter Sleep nous faire voyager par passion et parfois ennui, qu’une Vie d’Adèle à la mise en scène faiblarde et au parcours banal tout sauf extraordinaire, un cinéma plus nombriliste qu’il n’y paraît. La neige anatolienne est tout sauf une neige froide, tout comme le feu crépitant d’une bougie dans ces espaces clôts ne dégage pas plus de chaleur. Avec son esthétique oscillant entre ancien modernisme et nouveau classicisme, Winter Sleep immerge son public étranger dans un monde inconnu, lui paraissant mille fois plus familier à la sortie du tunnel des trois heures. Grand, beau, et turc. Un cinéma tout puissant non sans préjugés ni faiblesses méritant amplement sa récompense tant attendue, qu’il aurait aisément pu recevoir pour Uzak (2002) ou Il était une fois en Anatolie (2011), films plus radicaux et moins calibrés palme.

Jeremy S.

Plaines anatoliennes

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