jeudi 10 octobre 2013

La Bataille de Solférino - Justine Triet



Ecrit et réalisé par Justine Triet
Avec : Vincent Macaigne, Laetitia Dosch, Arthur Harari
Festival de Cannes 2013 - Sélection ACID
1h34
Sortie : 18 septembre 2013

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À bout de souffle


Peu de temps après la Fille du 14 juillet sorti cet été, la révolution du cinéma français continue son tracé cette fois avec une jeune réalisatrice aux commandes. Justine Triet, diplômée des Beaux arts, livre un premier film d'une rare originalité et insolence, dont on ressortira d'abord ému mais aussi avec le sentiment d'avoir été tabassé, arnaqué, ou encore bluffé.

Le premier coup dure une vingtaine de minutes : la première scène dans l'appartement de Laeticia avec ses deux bébés ne dégage rien de symbolique ni de social. C'est une scène de la vie courante, où aucun défaut n'est masqué, où les acteurs se confondent avec de réels personnes, où la fiction émerge difficilement. Le côté documentaire du film est peut être le fait le plus marquant de ces deux batailles : celle du PS et de l'UMP, ayant lieu le 8 mai 2012, et celle de Vincent et Laetitia, un couple en crise. Justine Triet a effectivement tourné pendant la réelle élection (difficilement) pour chercher ainsi à donner une portée documentaire et politique à son premier film. Laetitia se fait passer pour une journaliste d'iTélé, tout le monde y croît, le spectateur en premier. Car le génie de La Bataille de Solférino, c'est cette réalité, cette histoire où chacun peut s'y reconnaître, où chacun peut sourire ou gueuler face à une enfilade de scènes plus extraordinaires les unes que les autres (en particulier pour une réalisatrice débutante). 

Laetitia (Laetitia Dosch), Arthur (Arthur Harari), Vincent (Vincent Macaigne)


Revenons à cette première couche. Les enfants qui braillent comme des animaux, c'est effrayant. Justine Triet veut-elle nous agaçer, nous ennuyer ? La suite du film le confirme avec excellence, précisément parce que La Bataille de Solférino apparaît finalement comme une grosse bombe à retardement. Nous allons suivre le parcours de Vincent, celui de Laetitia, dans une France au bord du précipice, au moment où le nouveau (ou l'ancien) chef changera du tout au tout. Il y a une certaine rage dans le film de Justine Triet, une rage contrôlée et terriblement efficace.

Vincent Macaigne (déjà brillant dans Un Monde sans femmes de Guillaume Brac et la Fille du 14 juillet d'Antonin Peretjako) est un nouveau Jean Yanne (le film pourrait se dérouler dans un univers parallèle à celui de Nous ne vieillirons pas ensemble de Maurice Pialat) dont le jeu explose et fascine à l'écran. Comme chez Richard Linklater, La Bataille de Solférino se déroule sur une journée, de l'heure la plus matinale à la plus tardive. La palette d'émotion et de différentes facettes des jeux d'acteurs apparaît d'une richesse inouïe, à l'encontre de la comédie et du drame naturaliste. Comédie et drame, le film pourrait être classé comme cela. Mais ce n'est pas ce que recherche la jeune réalisatrice, tant elle s'affranchit des sentiers battus pour aspirer à une plus grande maîtrise et une affirmation d'un style propre.

Si le film ne nous prend pas par la main, c'est résolument car la maturité qui s'en dégage ne vise non pas à une éducation lourdingue du spectateur, mais bien à un lyrisme réaliste rarement vu dans le cinéma français depuis les chefs d'oeuvre de Jean Luc Godard ou d'Alain Resnais. Justine Triet n'est pas Rebecca Zlotowski ni Claire Denis, mais bien une réalisatrice française d'une nouvelle ère, rappelant certes la nouvelle vague, mais s'en émancipant intelligement. Cette histoire aux accents politiques ne verse ni dans un plaidoyer, ni dans une quelconque leçon ou vision propre à la cinéaste. La Bataille de Solférino est libre, rugueux, âpre, et paradoxalement délicieux. Nous n'en demandions pas tant pour un premier et grand film, qui jallone d'emblée un nouveau visage du cinéma français d'auteur. Justine, nous te remercions pour ce grand moment de cinéma et te souhaitons une longue et agréable carrière, venant tout juste d'éclore, et s'annonçant d'emblée magistrale. 

Jeremy S.

Laetitia (Laetitia Dosch)


Arthur (Arthur Harari) et Vincent (Vincent Macaigne)



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