The Place Beyond the Pines - Derek Cianfrance

Réalisé par Derek Cianfrance

Ecrit par Derek Cianfrance, Ben Coccio et Darius Marder

Avec : Ryan Gosling, Bradley Cooper, Eva Mendes...

2h20

Sortie : 20 mars 2013

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L'héritage, psychose américaine

Après la terrible histoire d'amour Blue Valentine, Derek Cianfrance revient avec son 3ème long-métrage. Très attendu en cette fin mars, The Place beyond the Pines ne déçoit pas, bien au contraire. Tout en gardant une cohérence avec son film précédent, Derek Cianfrance emmène le spectateur dans un monde où la famille et son patrimoine tiennent une place primordiale.

Synopsis : Cascadeur à moto, Luke est réputé pour son spectaculaire numéro "globe de la mort". Quand son spectacle itinérant revient à Schenectady, dans l'Etat de New York, il découvre que Romina, avec qui il a eu une aventure, vient de donner naissance à son fils... Pour subvenir aux besoins de ceux qui sont désormais sa famille, Luke quitte le spectacle et commet une série de braquages. Chaque fois, ses talents de pilote hors pair lui permettent de s'échapper. Mais Luke va bientôt croiser la route d'un policier ambitieux, Avery Cross, décidé à s'élever rapidement dans sa hiérarchie gangrénée par la corruption. Quinze ans plus tard, le fils de Luke et celui d'Avery se retrouvent face à face, hantés par un passé mystérieux dont ils sont loin de tout savoir...

Film tripartite passionnant, tout est lié à travers une grande question qui touche très fréquemment le cinéma américain,  celui de l’héritage à la fois génétique et matériel. Plus que l’histoire, l’objet filmique est aussi assujettie à cette question. Derek Cianfrance le dit lui-même « I have always loved Alfred Hitchcock’s PSYCHO, and how thé movie managed that amazing hand off from Janet Leigh to Tony Perkins. »*. Psycho est fortement présent ici, que ce soit le remplacement d’un personnage principal à un autre en milieu de film qui est très habillement amené, l’ancien protagoniste bouleversant la vie du suivant,  ou encore l’objet moteur du film, un paquet d’argent duquel Derek Cianfrance n’hésite pas à insister, tout comme le faisait Hitchcock par les innombrables insert. Il ne puise pas uniquement dans l’œuvre d’Hitchcock mais aussi dans un des meilleurs films dramatiques traitant de thèmes similaires, Le Parrain de Francis Ford Coppola. Il en fait un clin d’œil en reprenant une des scènes cultes de ce film, celui du baptême.

Mais ce film n’est pas seulement un hommage à ce magnifique film, il est aussi cohérent dans la très jeune œuvre de Derek Cianfrance. Le thème de l’héritage ainsi que celui de la famille et plus particulièrement de la relation du père au reste de la famille sont déjà au cœur de l’histoire dans Blue Valentine. Seulement dans The Place Beyond the Pines Derek Cianfrance voit plus grand et développe ces thématiques sous différentes voies, d’abord celui d’un père absent (joué par Ryan Gosling), ensuite celui d’un père (interprété par Bradley Cooper) qui, rongé par l’horreur de son travail de policier, s’éloigne de son cocon familial et conclut son film sur ce qu’il advient de la descendance de chacun des deux 1^ers personnages principaux. Ces deux jeunes hommes présents en fin de film ont un destin qui s’entremêle. Ils ont grandi sans cette figure patriarcale et se retrouvent désorientés pendant leur adolescence.

Derek Cianfrance ne propose cependant pas de réponse concrète à la question « Retrouve-t-on un gène de l’héritage dans l’ADN transmis par nos parents ? ». Il condense plusieurs théories dans cette 3^ème partie :
- L’adolescent trace sa propre voie et renie son héritage : AJ, le fils du policier Avery Cross, entame une période de délinquance ;
- L’adolescent qui consciemment suit les traces de son père et s’accapare son héritage : Jason, le fils de Luke, achète une moto après avoir appris que son père avait un don avec ces engins ;
- Un héritage acquis inconsciemment : Jason part en moto sur une longue route aux abords d’une forêt, chemin déjà emprunté par son père (cette route est déjà au centre de Blue Valentine).

Romina (Eva Mendes) et Luke (Ryan Gosling)

Ce film avec un fond très marqué sur l’obsession de l’héritage a aussi une forme très intéressante, comme le fait de s’approprier le Psycho d’Hitchcock mais pas seulement. Lors de son précédent film, un mouvement de caméra très singulier se démarque du reste du film : lorsque les personnages de Ryan Gosling et Michelle Williams se mettent à courir à reculons, la caméra portée les suit (de face) de manière très frénétique. Elle annonce dans la narration un point de non retour puisque dans la scène suivante les deux protagonistes couchent ensemble et scellent leur destin commun). On retrouve dans The Place Beyond the Pines un mouvement de caméra, qui bien que différent de celui de Blue Valentine, est singulier vis-à-vis de l’ensemble de son film. Lorsque Ryan Gosling roule à moto dans la forêt, la caméra le suit dans un travelling latéral (effectué sur un véhicule). Ce mouvement tremblotant, accouplé avec les effets de rayon lumineux traversant les feuillages provoque une impression visuelle très étrange avec une image presque abstraite (ayant eu comme professeur Stan Brakhage, cinéaste expérimental jouant souvent sur la perception visuelle, à l’université de Colorado il n’est pas étonnant de voir un travail presque expérimental à ce moment). Ce mouvement de caméra très marqué annonce aussi dans ce film un point de non retour, Luke rencontre Robin Van Der Zee (joué brillamment par Ben Mendelsohn), un garagiste qui va le pousser à braquer des banques, ce qui va là aussi sceller le destin de Luke.

En plus d’une forme (filmique et narrative) très élaborée et un fond déployé à son paroxysme le 3^ème élément important d’un film est lui aussi réussi à la perfection, la performance des acteurs. Grâce à un Ryan Gosling captivant (au summum de l’érotisme à chaque plan, puis tourné en ridicule dans le plan qui procède au changement de protagoniste), un Bradley Cooper qui pour le moment nous présente son meilleur rôle, un Ben Mendelsohn exceptionnel et bien sûr une Eva Mendes charmante et naturelle, le film est prenant de bout en bout. The Place Beyond the Pines se permet le luxe, avec un casting 5 étoiles, de proposer une publicité proche de celle des blockbusters, très axée sur Ryan Gosling alors que ce dernier est très vite effacé du paysage (à l’image uniquement, pas dans l’esprit des autres personnages).

Derek Cianfrance signe un film émouvant, filmant avec beaucoup de justesse et de délicatesse la famille. Cette fois ci son œuvre se termine sur une note bien plus optimiste que sa précédente qui fait perdre foi en l’Amour et plus largement en l’humanité.

Alexis D.

Avery Cross (Bradley Cooper) et Deluca (Ray Liotta)

AJ (Emory Cohen) et Jason (Dane DeHaan)

Luke (Ryan Gosling)

*« J’ai toujours aimé Psycho d’Alfred Hitchcock, et la manière dont le film opère cet extraordinaire transfert de Janet Leigh à Tony Perkins. ». Propos recueillis sur Focus Features.