dimanche 31 mars 2013

Camille Claudel 1915 - Bruno Dumont



 Écrit et réalisé par Bruno Dumont
Avec : Juliette Binoche, Jean-Luc Vincent, Robert Leroy, ...
1h37
Sortie : 13 mars 2013

8/10

-

Sculpter l'informe


Dans un cinéma français en manque de courage artistique, partagé entre la comédie populiste et le film d'auteur cliché labélisé Nouvelle Vague, Bruno Dumont s'impose face à cette sclérose en proposant un cinéma d'une rare innovation, animé d'un souffle de renouveau. Après l'hallucinant Hors Satan, Dumont revient sur les écrans avec une courte évocation de la vie de Camille Claudel. Pour la première fois, Dumont s'attaque à un personnage historique. Plutôt habitué aux anonymes non-professionnel, Dumont s'octroie les services de Juliette Binoche. A personnage notoire, actrice célèbre. 

Durant une heure et trente minutes, Dumont nous fait partager trois jours de la vie de Camille Claudel, internée dans un asile psychiatrique depuis deux ans. Le projet de Dumont n'est pas de filmer une vaste fresque de la vie de l'artiste, mais de proposer une vision intime de Camille Claudel dont le seul bonheur est d'attendre la visite de son frère Paul. La première séquence révèle cette ambition du cinéaste. Des infirmières donnent le bain à Camille Claudel. Le corps nu, la peau blanche, le visage travaillé par la folie impriment chez le spectateur l'image d'une artiste déchue et fragilisée.

Dumont enferme son film, comme son sujet, dans les murs froids du couvent. Il décrit un quotidien sans éclat où les teintes gris-marron de la photographie figurent une vie en demi-teinte. Trop folle pour la réalité, pas assez pour l'asile, Camille Claudel est dans une situation inconfortable. Tout est absence. Absence de Paul Claudel, absence de l'atelier, absence d'écoute. Camille Claudel est une figure perdue dans un paysage torturé. 


Camille Claudel (Juliette Binoche)

Le couvent est un lieu partagé entre trivialité et spiritualité. Comme dans la plupart de ses films (La vie de Jésus, L'humanité, Flandres, Hors Satan), Dumont décrit un monde empreint de laideur, transcendé par une forme de spiritualité. Chaque personnage est partagé entre bestialité et grâce. Derrière le regard monstrueux des malades transparaît une forme supérieure de vie. D'ailleurs, qui est le malade ? Camille Claudel ou Paul Claudel, illuminé par sa foi et aveugle face à la misère de sa soeur ? Les personnages témoignent d'une vie psychique profonde et, plutôt que de l'exposer explicitement, Dumont, comme dans tous ses films, décalque cette spiritualité dans les paysages qui deviennent des paysages intérieurs. 

Paul Claudel (Jean-Luc Vincent) 

Dumont cherche une matière première et imparfaite sur laquelle il vient tailler dans le vif pour en retirer la substantifique moelle. Au final, il ne reste plus que l'essentiel, plus que cet éclat prit dans le brut. Dumont est un cinéaste du dépouillement. La caméra ne s'arrête pas à l'apparence. Elle est le révélateur, comme chez Bresson, de l'âme du personnage. Elle vient illuminer les sujets qu'elle filme. Dumont attend. Il attend ce rictus, ce clignement d’œil qui viendra apporter la vérité tant désirée. Dans un monde où l'on veut jouir tout de suite et tout le temps, le cinéma de Dumont, cinéma de l'attente et de la grâce, est un défi, une révolution. Il est un moyen de méditation et de transcendance, une plongée intérieure, un moyen d'être.

Adrien V.

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